Mais pourquoi le romarin est devenu une sauge ? Pourquoi ce qu’on connaissait comme Chamaerops excelsa est en fait un Trachycarpus fortunei ? Calmez-vous. On vous explique tout, le temps d’une boisson chaude.
La botanique, c’est une science, malgré les apparences
Vous avez l’impression que les noms de plantes partent dans tous les sens, que tout change sans arrêt et sans logique. C’est une impression, juste une impression. Car en réalité, derrière ces changements, il y a des règles. Oh, pas bien compliquées, mais implacables. Ce sont des règles prises au niveau international autant pour stabiliser la classification (et les noms) que pour rester fidèle à la façon dont la nature évolue.
Tout vient de la monophylie
Pour commencer, il faut connaître une règle essentielle, celle de la monophylie (littéralement, une seule branche). La monophylie stipule que dans un groupe botanique donné (les pissenlits, par exemple), tous les membres doivent avoir un ancêtre commun et que tous les descendants de cet ancêtre commun doivent figurer dans le groupe. Autrement dit, dans la famille Lebrun, où tout le monde justement est brun, on ne met pas un cousin à part sous prétexte qu’il a les cheveux roux. On ne crée pas une famille Leroux rien que pour lui. Il fait partie de la famille Lebrun et il y a un Lebrun à cheveux roux, c’est tout. Si vous voulez une autre image, regardez une branche. Toutes les feuilles portées par la branche font partie de cette branche. Cela n’aurait pas de sens de dire que toutes les feuilles de la branche en font partie sauf une feuille en particulier, parce qu’elle est différente.
En botanique, la règle de la monophylie a pourtant longtemps été malmenée. Cette erreur commune est due au fait qu’on on délimitait les groupes sur des éléments visuels : la couleur de la fleur, le port, la localisation géographique, etc. (C’est ce qu’on appelle un caractère). Cela a marché pour la plupart des plantes mais il restait beaucoup de questions en suspens. Des plantes qu’on pensait très différentes parce qu’un détail les séparait, par exemple.
Avec les analyses génétiques, tout a changé en botanique
Dans les années 1990, on a fait appel à des éléments non visuels. Et plus précisément, à l’information génétique. Chez les plantes, il y a plusieurs registres génétiques (plusieurs génômes). Soit autant de façons de se renseigner sur l’histoire des groupes botaniques et s’assurer qu’un groupe qu’on considérait comme monophylétique jusque-là l’était bien. Et là, surprise ! Et même, surprises, car il y en a eu plus d’une. Comme pour un test de paternité où on se rend compte que le parent n’est pas celui qu’on pensait, l’examen des génômes végétaux a fait apparaître des erreurs de classement. Les romarins (Rosmarinus officinalis, pour le plus connu) sont apparus en réalité comme faisant partie intégrante des sauges (genre Salvia). Que faire ? Laisser la situation en l’état ? Non, car cela viole la règle de la monophylie. Alors les romarins sont devenus des sauges. Rosmarinus officinalis doit maintenant être appelé Salvia rosmarinus.
Bien plus que de l’ADN
Nous résumons beaucoup car dans les sources d’informations non visuelles, il n’y a pas que l’ADN. Il y a une large diversité de sources d’informations, depuis les protéines jusqu’aux intermédiaires entre ADN et composés fabriqués grâce à l’information génétique (les ARN, dont on a beaucoup parlé à propos de vaccin contre le/la covid-19). Rien n’empêche de combiner les infirmations non visuelles avec des informations visuelles. D’ailleurs, cela se fait couramment pour tenter d’affiner la classification.
Une révolution
Il n’est pas exagéré de parler de révolution génétique n matière de classification. Un des plus beaux résultats concerne l’origine des plantes à fleurs. L’examen visuel habituel présageait que l’ancêtre commun de toutes les plantes à fleurs devait avoir beaucoup de points communs avec les magnolias. On s’est fié à ce schéma pendant des siècles. Et puis l’information génétique a parlé. Et elle a dit que la plante la plus proche de l’origine était un arbuste poussant en Nouvelle-Calédonie, l’Amborella. Aucun botaniste auparavant n’aurait décelé le moindre archaïsme chez cet arbuste. Alors on l’a regardé à nouveau et on a trouvé, en effet, des signes visuels qui témoignent d’une bien plus grande ancienneté qu’on pensait pour cette plante. C’est comme cela que la science avance.
La classification, oui, mais pourquoi changer les noms ?
Si on ne changeait pas les noms des plantes qui ont été mal rangées parce qu’on ne les connaissait pas assez bien à l’époque, ce serait vite le chaos. Parce qu’on aurait deux façons de s’y retrouver dans les plantes. D’un côté, des noms qui ne changent pas et de l’autre, une classification qui se peaufine chaque jour. Ce serait invivable et une source d’erreurs. Pas seulement pour les chercheurs mais en médecine par les plantes, par exemple.
Bien sûr, les changements de nom ne font pas les affaires des jardiniers comme des professionnels. Tout le monde aimerait que les noms restent les mêmes. On entend souvent que ces changements ne sont pas légitimes car « ils sont dictés par l’ordinateur » (on caricature à peine). C’est vrai que l’examen des informations du génôme se fait grâce à l’outil informatique car l’esprit humain seul n’y arriverait pas. Votre route est-elle moins juste parce que vous l’avez demandée à un GPS plutôt que de regarder sur une carte imprimée sur du papier ? Non bien sûr. Au contraire, même. Pourtant, dans les deux cas, il s’agit bien un résultat obtenu par voie informatique.
Au regard de ce qui change, les jardiniers sont concernés par bien peu de dérangements. Mais comme au jardin, on s’est souvent attelé à souligner la moindre différence, certains changements de noms deviennent plus épineux encore. On a donné des noms différents à des agrumes et des cactus du genre Opuntia alors que pour la science, ce n’est pas justifié. Car à côté de cela, on garde souvent un nom global pour des plantes finalement très différentes mais que l’on ne côtoie pas au quotidien, comme les ananas, par exemple. Cela fait deux, deux mesures. Alors qu’aujourd’hui on est si prompt à dénoncer les inégalités, il faudrait rester cohérent…
Changement de nom, piège à con !
Le jardinier qui ne fait pas assez attention aux changements de noms risque d’acheter plusieurs fois la même plante mais proposée dans le commerce sous autant de noms différents ! Le meilleur exemple nous vient d’un petit magnolia. Sur la base de travaux de recherche qui montrait que pour que le genre Magnolia soit monophylétique, il fallait y inclure le genre Michelia. Ainsi, toutes les espèces de ce genre sont devenues des Magnolia. En bonne logique, Michelia yunnanensis (un arbuste persistant) est devenu Magnolia dianica. On ne pouvait pas l’appelle Magnolia yunnanensis car cette combinaison étant déjà attribuée à un autre magnolia. Mais voilà : on s’est rendu compte que Magnolia dianica n’était pas la combinaison la plus ancienne et on a ressuscité un nom encore plus ancien, Magnolia laevis. Résultat : le jardinier qui ne fera pas attention achètera Michelia yunnanensis et Magnolia laevis à deux endroits, alors qu’il s’agit d’une seule et même plante. Vous voulez une confidence ? Nous aussi on se fait avoir.
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Qui donne le nom des plantes ?
Personne en particulier ! Il n’y a pas de grand maître du nom des plantes. C’est l’usage qui en décide. Si un changement n’est pas reconnu, il n’est pas utilisé et ce changement ne se fait pas. C’est le même mécanisme que pour la langue. Un changement proposé (comme l’écriture inclusive ou la réforme de l’orthographe) peut être adopté ou pas. Pour le nom des plantes, c’est souvent la communauté scientifique dans son ensemble qui mène le débat. Et on vous garantit que des débats, en la matière, il y en a tous les jours, et par centaines !